Par Sherry Hinman
Republished from the March 2007 issue of Listen/Ecoute, with kind permission of the Canadian Hard of Hearing Association.
Sur le plan clinique, mon rôle est d’amener les musiciens à penser que la musique est plus intense qu’elle ne l’est. » Marshall Chasin est docteur en audiologie, directeur de la recherche auditive de Musicians’ Clinics of Canada, professeur adjoint en linguistique à l’University de Toronto et professeur associé à l’University of Western Ontario. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et en connaît pas mal sur les musiciens et la déficience auditive – après tout, c’est lui qui a ouvert la voie. Comme Chasin l’explique, « Nous devons changer le milieu (peut-être avec une meilleure surveillance) de manière à ce qu’une musique suffisamment forte soit en réalité à un niveau d’intensité inférieur ».
Chasin déclare, « Sur dix musiciens que j’ausculte, neuf ont une déficience auditive due au bruit. J’établis l’historique musical, je fais passer une batterie complète de tests audiométriques et j’explique les résultats. Mais avec les musiciens, c’est l’historique musical qui est le plus important ». Certains patients de Chasin n’ont même pas de déficience auditive. Pourquoi une personne consulterait-elle un audiologiste alors qu’elle n’a pas de problème auditif? Chasin explique, « Les jeunes musiciens comprennent qu’ils doivent faire quelque chose pour protéger leur ouïe. Ils entendent parler de quelqu’un comme Pete Townsend et d’autres qui ont perdu leur faculté auditive ».
Son intérêt pour les musiciens a conduit Chasin à se spécialiser dans le domaine. Il déclare, « J’ai constaté que les problèmes qu’ils éprouvaient étaient des problèmes audiologiques classiques qui avaient des solutions audiologiques classiques ». Lorsque les gens pensent à la perte de l’audition en rapport avec la musique, pour beaucoup c’est le rock qui vient à l’esprit. Mais Chasin indique que de jouer de la musique classique peut souvent causer des problèmes plus graves. Chasin mentionne, « Un orchestre est tout aussi intense. En réalité, Ring Cycle, [un opéra joué récemment à Toronto] est un des morceaux de musique le plus intense jamais joué ». Les musiciens classiques jouent souvent six ou sept fois par semaine, en plus ils répètent et peuvent enseigner la musique. Le nombre total d’heures augmente. Dans l’ouvrage de Chasin, Hear the Music, il déclare, « Selon l’étude, une déficience auditive a été trouvée chez plus de 52 p. 100 des musiciens classiques et chez environ 30 p. 100 des musiciens rock and roll ».
Chasin indique qu’il adopte une méthode d’intervention en trois volets avec les musiciens, Premièrement, grâce à l’historique musical, il relève le maximum de détails sur la façon dont le musicien joue et sur ce qu’il joue. Ensuite, ensemble, ils déterminent les moyens de changer le style du musicien pour minimiser tout dommage à l’ouïe. Par exemple, il peut proposer à un batteur de répéter avec des high hat (sorte de cymbale) plutôt qu’avec des cymbales ouvertes. Il peut être préférable pour un musicien de jouer de la trompette avec une sourdine, ou d’un instrument électronique avec des écouteurs sur lequel il peut contrôler le volume. Il y a différentes stratégies selon le type d’instrument, le type de musique et le style d’interprétation. La deuxième méthode est l’utilisation de stratégies environnementales. Pour comprendre ces stratégies, il est important de revenir à ce que Chasin appelle « Audiologie 101 » et de faire la distinction entre force et intensité du son. L’intensité est ce qui se mesure en décibels (dB) et est la mesure physique effective de la vibration sonore. La force est ce que nous percevons, notre impression subjective du son et quelque chose qui varie d’une personne à une autre.
Donc, le travail de l’audiologiste consiste à tromper l’oreille pour qu’elle perçoive le son plus intense qu’il ne l’est en réalité. On peut y parvenir, entre autres, « par quelque chose d’aussi simple que monter l’audition des basses du musicien sur scène à l’aide d’un base shaker. Un base shaker est un amplificateur de basses fréquences souvent utilisé dans la musique rock and roll. Les musiciens peuvent également modifier la disposition des haut-parleurs sur scène, en les surélevant pour que les basses fréquences ne se perdent pas ».
Il ne faut pas non plus une énorme réduction pour faire une différence. Chasin explique que pour chaque réduction d’intensité de 3 dB (une différence à peine perceptible), les dommages sont réduits de moitié. La troisième méthode pour prévenir la déficience auditive chez les musiciens consiste à utiliser une protection auditive. Chasin explique, « Les bouchons d’oreille que les musiciens utilisent d’habitude réduisent davantage l’intensité des sons à hautes fréquences, et ils perdent donc toutes les harmoniques ». Pour la plupart des musiciens, cela rend l’interprétation et l’audition de la musique difficiles et ils renoncent simplement à les utiliser. En 1988, Etymotic Research a conçu un bouchon d’oreille, appelé ER-15, qui atténuait le son de 15 dB dans toutes les fréquences et ces bouchons, ainsi qu’un atténuateur plus récent de 25 dB, sont depuis devenus de plus en plus populaires auprès des musiciens Chasin explique à propos du ER-15, « Avec cette réduction de 15 dB des basses, moyennes et hautes fréquences, un musicien peut être exposé au même son trente-deux fois aussi longtemps ».
Sean O’Connor ne serait pas musicien sans ses bouchons d’oreille. O’Connor est saxophoniste et déclare avoir porté des bouchons d’oreille de musicien pendant environ 10 ans. Il déclare, « Je peux entendre la musique et les harmoniques ».
Comme indépendant, O’Connor joue toutes les musiques avec tous les ensembles, depuis les formations de rock, aux orchestres de jazz et aux groupes acoustiques. Il est membre d’un groupe traditionnel irlandais appelé Joyce’s Folly et des Louisiana Snowblowers, un groupe de musique country alternative. Il déclare, « Je peux être sur de grandes scènes avec beaucoup d’amplification ».
À propos des bouchons d’oreille, il indique, « Il faut beaucoup de temps pour s’y habituer. Lorsque vous jouez, le son est différent et vous devez vous habituer à entendre à travers les bouchons. Cependant, après un certain temps, lorsque c’est très fort, c’est plus facile d’entendre lorsque vous les portez ».
O’Connor estime qu’il y a plusieurs avantages à porter les bouchons d’oreille. Entre autres, il trouve qu’ils facilitent réellement l’interprétation. « Jouer du saxophone est très physique. Il y a une très forte résistance à ’instrument. » Les sons autour de lui étant atténués, il n’est pas obligé travailler aussi dur pour jouer assez fort et s’entendre lui-même. La protection de l’ouïe est évidemment primordiale. « Je veux jouer aussi longtemps que je le pourrai, donc j’essaye de garder ce que j’ai d’intact pour pouvoir faire mon travail. »
Le musicien de jazz Phil Nimmons sait ce qu’il en est d’avoir de la difficulté à entendre. Nimmons, l’âme de l’ensemble de jazz Nimmons ‘N’ Nine, est clarinettiste de jazz, chef d’orchestre, compositeur et arrangeur, et il est membre fondateur de l’Advanced School of Contemporary Music avec Oscar Peterson et feu Ray Brown. À 83 ans, il enseigne toujours à l’University of Toronto où il est actuellement directeur émérite des Jazz Studies, et il joue activement dans un quartet. Nimmons a des appareils auditifs bilatéraux qu’il porte depuis au moins les dix dernières années. Il déclare, « Au début, rien de particulier ne semblait affecter mon ouïe au point de déranger mon interprétation ». Bien qu’il n’attribue pas directement sa déficience auditive au fait d’interpréter de la musique, il reconnaît qu’il y a certainement été beaucoup exposé. Il explique, « Nous n’y pensions jamais beaucoup à l’époque, dans les années 1940. Je me suis tenu devant un orchestre pendant près de quarante ans ».
Tout de même, son conseil à d’autres musiciens est clair, « Ils ne devraient pas abuser de leurs oreilles. J’essaye de leur conseiller de porter des bouchons d’oreille. Ça en a aidé certains énormément ». Nimmons est reconnaissant de l’aide qu’il a reçu pour pouvoir optimiser son ouïe. Il mentionne, « Marshall [Chasin] est à proximité chaque fois que j’ai besoin de lui ». En qualité de musicien et de personne qui a réellement vécu pour la musique, Nimmons sait de manière unique à quel point l’ouïe est précieuse. Il ajoute, « J’ai du respect et de l’admiration pour l’oreille même. Lorsque vous portez des appareils auditifs, vous comprenez à quel point ce sont des instruments formidables, ils peuvent séparer les sons et faire beaucoup plus. L’oreille fait tout cela ».
Sherry Hinman est écrivain et rédactrice indépendante. Elle est également professeur dans le cadre du Communicative Disorders Assistant Program au Durham College; elle a travaillé en clinique à titre de PLG pendant quatorze ans; elle a siégé trois ans au conseil de l’OAOO.