By Mark Wafer
Discours principal de l’assemblée générale annuelle de la SCO
Reprinted from the Fall-Winter 2011 issue of Vibes magazine, with kind permission of the Canadian Hearing Society.
Bonjour, c’est un plaisir d’être ici ce matin pour aborder un sujet auquel chacun de nous ici présent s’est trouvé confronté à un moment dans sa vie : un emploi intéressant. Mais permettez-moi d’abord de vous parler de moi et de la façon dont je me retrouve ici aujourd’hui.
Mes parents étaient deux ouvriers irlandais immigrants qui travaillaient dans le transport par autobus à Londres, en Angleterre. Mon père était chauffeur et ma mère était conductrice chargée de percevoir les tickets. Ils avaient un circuit rural qui leur donnait l’occasion d’effectuer un arrêt de 30 minutes. Alors… neuf mois plus tard, je naissais. J’ai passé de nombreux étés en Irlande et j’ai immigré au Canada à 12 ans.
Je suis né avec une audition de 20 p. 100 dans chaque oreille. J’ai été envoyé à l’école avec des appareils auditifs qui avaient plutôt l’air d’un « ghetto blaster » des années 1980. Ils ne fonctionnaient pas et dès mon jeune âge, j’ai ressenti la douleur de l’exclusion de la part d’enseignants bien intentionnés, mais ignorants et de membres de ma famille qui pensaient toujours savoir ce qui était préférable pour moi. J’étais un étudiant brillant et dans une classe de surdoués, bien que mes professeurs m’aient exclu des sports par crainte que je me blesse et des excursions scolaires parce que je pouvais me perdre ou, en croisière sur une rivière, probablement sauter par-dessus bord et me noyer. Saviez-vous que les personnes sourdes pouvaient s’égarer aussi facilement?
À chaque étape de ma route, peu importe l’ampleur de mon succès, je me suis toujours heurté à des obstacles… des obstacles que d’autres dressaient devant moi.
Mes parents étaient occupés à tenter de gagner leur vie et à élever une famille. Ça me laissait seul face à la plupart des problèmes et je crois que le fait d’être constamment démoralisé, et comme on pouvait s’y attendre, brimé, a fait de moi ce que je suis aujourd’hui : peut-être un peu plus fort.
Je suis arrivé au Canada en 1974; j’ai fréquenté des écoles régulières puis le collège dans le domaine du travail social. Toutefois, dès mon jeune âge, j’avais une passion pour la course automobile. J’ai assisté à de nombreuses courses et finalement, à l’âge approprié, j’ai suivi des cours pour devenir pilote de course.
J’ai été travailleur social en gériatrie, mais me rendant compte que tous mes amis dans le sport automobile gagnaient plus d’argent dans le commerce automobile, j’ai laissé le travail social et j’ai passé 15 ans dans le secteur automobile comme gérant et finalement comme directeur des opérations fixes dans ce qui était à l’époque le plus grand concessionnaire automobile du Canada.
J’avais du mal à conserver un emploi quand j’étais jeune, en partie parce que j’étais paresseux et insouciant, mais également parce que j’étais sourd. J’ai eu un emploi au Loblaws comme commis aux chariots d’épicerie, mais je n’entendais pas les annonces me demandant d’aller dans le stationnement pour rentrer les chariots, alors j’ai perdu cet emploi. Lorsque j’étais dans la fosse à changement d’huile chez Mr. Lube, le technicien devait me crier de remettre le bouchon de vidange du carter d’huile. J’ai aussi perdu cet emploi. J’ai travaillé au Baskin Robbins – 31 saveurs de crème glacée, mais tout le monde obtenait la mauvaise. J’ai également perdu cet emploi.
Cependant, lorsque j’ai travaillé chez Chrysler, le propriétaire savait que j’étais un atout pour son commerce. J’aimais mon travail et je réussissais bien. Le propriétaire a payé pour mes appareils auditifs de haute technologie qui ne fonctionnaient pas, mais il reconnaissait ainsi la valeur de ma contribution. Lorsqu’un directeur a dit au propriétaire que l’audition de Mark était un problème et que Mark devrait être remercié, le propriétaire a congédié le directeur et m’a confié ce poste.
Au début des années 1990, mon épouse Valarie et moi avons décidé d’acheter une franchise Tim Horton. À l’origine, nous voulions acheter une concession automobile, mais cela demandait d’importants capitaux et en général des partenaires. On nous a offert notre premier Tim Horton à Scarborough en 1995 et c’est là qu’a débuté toute l’histoire de l’emploi de personnes handicapées.
Une semaine après l’ouverture de notre premier établissement, j’ai constaté que je ne pouvais pas m’occuper de la salle à manger, des tables, de la vaisselle et du fonctionnement du lave-vaisselle, j’avais donc un besoin, le besoin d’engager une personne pour accomplir ce travail.
Une enseignante de l’école secondaire locale a vu mon annonce et m’a demandé s’il était possible que j’engage un de ses finissants. Clint Sparling, 23 ans, diplômé du cycle secondaire, était impatient de travailler. Clint avait le syndrome de Down. À ce stade de mon existence, je n’avais pas une grande expérience des personnes ayant un handicap intellectuel et j’ai donc sollicité l’aide de Community Living Toronto, un important fournisseur de services disposant d’excellents formateurs en milieu de travail qui m’ont aidé à acquérir une formation. Comme vous pouvez l’imaginer, la formation allait prendre plus de temps et je travaillais déjà 18 heures par jour à tenter de lancer mon entreprise.
Clint est devenu un de mes meilleurs employés. Il a travaillé dans quatre établissements et en 2006, il a épousé sa petite amie du secondaire, il a acheté son propre condo et il vit aujourd’hui avec les buts et les rêves que nous avons pour nous-mêmes et pour nos enfants simplement parce Clint a un emploi intéressant.
Par « intéressant », je veux dire deux choses : la première est que Clint doit être remplacé s’il ne peut pas se présenter au travail et la deuxième est qu’il reçoit un salaire concurrentiel. Ce n’est pas de la charité. Les postes accordés par charité nuisent en fait à l’emploi. Dès qu’il y a une régression des ventes ou des marges d’exploitation d’une entreprise, la première personne remerciée est celle qui occupe le poste accordé par charité.
Le succès que nous avons remporté avec Clint nous a permis d’engager d’autres personnes ayant un handicap intellectuel, habituellement dans des emplois au bas de l’échelle, mais alors que nous percevions les avantages pour notre entreprise, nous avons commencé à engager des personnes avec diverses incapacités dans tous nos services, de la logistique à la production et à la gestion.
Dans les 17 dernières années, nous avons employé 82 personnes handicapées et aujourd’hui, 33 de mes 210 employés ont une incapacité.
Au fil du temps, j’ai constaté que l’embauche de personnes handicapées favorisait énormément le succès de mon entreprise. À tel point qu’en fait j’ai activement encouragé d’autres propriétaires
d’entreprises à faire de même.
Il y a quatre ans, j’ai contribué au lancement d’un programme appelé Rotary at Work. Ce programme, basé à mon Club Rotary à Whitby, Ontario, est conçu pour exposer aux propriétaires d’entreprises les avantages que procure l’embauche de personnes handicapées. Nous diffusons un message de membre à membre du même secteur. « Écoutez… Je gagne de l’argent et vous pouvez en faire autant! » C’est évidemment la bonne chose à faire, mais ce message à lui seul n’encourage pas les propriétaires d’entreprises à effectuer de telles embauches. Pourquoi?
Parce que les propriétaires d’entreprises entretiennent une série de mythes et d’idées fausses. Les personnes handicapées sont plus souvent malades, elles ont besoin d’adaptations coûteuses, elles travaillent de façon moins sécuritaire, elles sont plus souvent en retard ou leur travail est moins productif.
La réalité est toutefois contraire. Selon les études de Harris, Dupont, Compas et autres, 86 p. 100 des personnes handicapées ont des taux de présence plus élevés que les personnes sans handicap. Pourquoi? Parce que l’emploi est précieux et qu’il a fallu des années pour l’obtenir.
Quatre-vingt-dix pour cent des employés ayant un handicap travaillent plus ardemment que ceux qui n’en ont pas. Pourquoi? Parce que les employés handicapés estiment qu’ils doivent faire leurs preuves. Les autres peuvent échouer ou commettre des erreurs, mais l’employé handicapé pense que s’il commet une erreur, les gestionnaires la mettront au compte du handicap.
Quatre-vingt-dix-sept pour cent des employés handicapés travaillent de façon plus sécuritaire que ceux qui n’ont pas de handicap. Le nombre de réclamations d’assurance à la CSPAAT que j’ai présentées a nom d’un de mes employés handicapés est exactement zéro! J’aimerais pouvoir en dire autant du reste de mon personnel.
Des employeurs soutiennent que les adaptations du milieu de travail sont trop coûteuses. En réalité, le coût moyen d’adaptation est inférieur à 500 $. La plupart des employeurs ne se rendent même pas compte qu’ils accommodent déjà le personnel existant. Accommodements culturels et religieux, programmes de travaux légers, congés de maternité, etc.
Les personnes handicapées et les membres de leur famille immédiate constituent 53 p. 100 de la population, bien que les employeurs pensent encore que c’est un petit marché.
Ce sont autant de mythes, mais ces mythes sont les plus grands obstacles auxquels une personne handicapée se heurte pour intégrer le marché du travail. Les faits montrent cependant clairement que l’embauche d’une personne handicapée est réellement bonne pour les affaires.
Étant donné que 16 p. 100 de la population a un handicap – soit l’équivalent de toute la population de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba réunis – et que 70 p. 100 de celle-ci est sans emploi, nous sommes clairement en présence d’une tragédie. Au cours des quarante dernières années, le taux de chômage chez les personnes handicapées a été de 70 p. 100. Il est évident que le message à ce jour ne fonctionne pas malgré tous les efforts des spécialistes en la matière. Le taux de chômage durant la grande crise atteignait le niveau stupéfiant de 24 p. 100, une tragédie nationale, bien que les personnes handicapées vivent cette tragédie quotidiennement – une crise perpétuelle.
La solution, mesdames et messieurs, est de changer l’approche et de changer le message pour que les propriétaires d’entreprises, les directeurs généraux, les gestionnaires d’embauche et les professionnels des RH commencent à comprendre qu’il n’y a que des avantages à embaucher des personnes handicapées, que l’embauche de personnes handicapées améliore les marges d’exploitation et les résultats financiers. ’est le langage que les propriétaires d’entreprises comprennent.
Voici un excellent exemple. Comme nous le savons tous, il peut falloir des années pour qu’une personne handicapée obtienne son premier emploi, n’importe quel emploi. Lorsqu’elle est engagée, l’emploi devient très précieux. Il en ressort des statistiques qui montrent que les employés handicapés travaillent jusqu’à cinq fois plus longtemps que les personnes qui ne le sont pas.
Dans mon secteur d’activité, la durée de service moyenne d’un employé est d’un an et quatre mois, mais pour un employé handicapé elle est de sept ans. Le roulement de personnel moyen pour un Tim Horton torontois typique est de 75 p. 100, mais pour mon groupe d’établissements il est de 35 p. 100, pas parce que je suis un meilleur exploitant, mais simplement parce que j’engage des personnes handicapées.
Certains d’entre nous prendront la chance de faire une demande d’emploi ailleurs… l’herbe peut sembler plus verte l’autre côté de la clôture, mais une personne handicapée ne renoncera pas à une chose sûre, d’où le faible roulement de personnel. Mais il y a mieux encore. Cent soixante-dix de mes employés n’ont pas de handicap et ne changent pas au rythme normal de roulement de personnel parce qu’ils veulent faire partie de quelque chose de spécial – ils travaillent dans un milieu de travail favorisant l’intégration. Le fait d’embaucher des personnes handicapées change la culture de notre effectif.
Pensez à ce que coûte le roulement de personnel. Prenez en compte l’entrevue, la formation, les uniformes et la productivité réduite des nouveaux employés et il apparaît très clairement que grâce à l’embauche de personnes handicapées, je gagne plus d’argent. C’est le langage que les propriétaires d’entreprises comprennent et c’est le message que nous devons diffuser. Comme je l’ai dit précédemment, c’est évidemment la bonne chose à faire, mais ce message à lui seul ne suffit pas.
Je veux mettre l’accent sur deux histoires : la première est celle de Walgreens aux États-Unis. Walgreens, une chaîne de pharmacies, est peut-être un des plus grands distributeurs du monde de produits de toutes sortes. En 2006, Walgreens a ouvert un nouveau centre de distribution (CD) en Caroline du Sud et a décidé de recruter 40 p. 100 de son effectif dans la communauté des personnes handicapées.
Ce CD de la Caroline du Sud a présenté un taux de productivité de 20 p. 100 supérieur au taux de productivité de tout autre CD au pays, chaque année depuis 2006; il est évident que l’embauche de personnes handicapées a une incidence positive sur la productivité. Walgreens a remporté un tel succès que la société a recruté 50 p. 100 des travailleurs pour son nouveau CD au Connecticut dans la communauté des personnes handicapées.
Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Randy Lewis, vice-président de la chaîne d’approvisionnement pour Walgreens, et il m’a dit qu’habituellement, six mois après l’ouverture d’un nouveau CD, les dirigeants rencontrent les travailleurs pour déterminer comment les choses se déroulent. Les questions des travailleurs étaient toujours « Quand cette pièce d’équipement sera-t-elle réparée? » et « Quand arrêterons-nous de faire des heures supplémentaires? ». Quand Randy a rencontré les travailleurs du CD de la Caroline du Sud, les questions étaient, « Comment nous en tirons-nous? » et « Que pouvons-nous faire pour aider? ». Un changement complet de culture dans le milieu de travail.
Ma deuxième histoire est celle de Brigita, que j’ai rencontrée à une présentation de la SCO en septembre dernier. Brigita a par la suite communiqué avec moi et m’a demandé un emploi – Brigita est sourde. J’embauchais et j’avais installé dans un établissement un nouveau système de commande qu’un employé sourd pouvait utiliser. J’ai engagé Brigita et elle adorait l’emploi. Elle avait fait des demandes d’emploi partout depuis longtemps sans succès.
Après quelques mois, Brigita a dit qu’elle voulait devenir boulangère-pâtissière. Les fours d’un Tim Horton ont des sonneries, des cloches et des sifflets. Elle a dit que ça ne la dérangeait pas parce qu’elle trouverait une solution. J’ai donc demandé au gérant de la former. Le gérant était hésitant à cause des avertisseurs sonores, mais nous sommes allés de l’avant.
Brigita a trouvé en un seul jour comment répondre à ces avertisseurs sonores. Elle s’occupe de la cuisson depuis six mois et la productivité et la qualité de son travail dépassent de 20 p. 100 celles de ma meilleure employée suivante. Brigita n’a jamais manqué un quart de travail, elle arrive tôt au travail et elle est fière de son rôle dans l’établissement.
Je ne peux pas acheter le type de loyauté que Brigita, Clint et nos autres employés handicapés manifestent à l’endroit de notre entreprise. Le fait de donner à une personne handicapée un emploi intéressant est simplement bon pour les affaires.